"Drii Winter": sublime tragédie dans les alpages

Le Suisse Michael Koch signe un magnifique mélodrame. Une profonde histoire d’amour et de mort dans le cadre d'une nature majestueuse.

 
 
"Drie Winter", deuxième long métrage du Suisse Michael Koch. Prix Georges Delerue au Festival de Gand en 2022.
"Drie Winter", deuxième long métrage du Suisse Michael Koch. Prix Georges Delerue au Festival de Gand en 2022. ©Mooov
 
 
 
 

Serveuse dans l’auberge de sa mère, Anna (Michèle Brand) est une jeune mère célibataire courtisée par les jeunes paysans de son village reculé des Alpes suisses. "Celui qui m’aura devra prendre ma fille", plaisante-t-elle. Elle a jeté son dévolu sur Marco (Simon Wisler). Venue de la vallée avec sa moto, cette montagne de muscles travaille à la ferme d'Alois (Josef Aschwanden). Et contre toute attente, le couple formé par la frêle jeune fille et l’imposant étranger tient. Anna et Marco se marient donc à l’église du village.

 

Mais l’harmonie commence à se briser alors que Marco, atteint de fortes migraines, agit de façon de plus en plus impulsive, incapable de contrôler ses désirs, notamment sexuels. "J’ai peur de mourir", confie-t-il à son épouse…

Tragédie rurale

Candidat suisse à l'oscar du meilleur film étranger, Drii Winter est le second long métrage de Michael Koch. Acteur et réalisateur suisse formé à Cologne, Koch retrouve ici sa région natale de Lucerne, et plus précisément les montagnes du Canton d’Uri, pour une tragédie rurale au rythme des saisons, de ces "trois hivers" du titre. Car tout là-haut, entre la traite des vaches, la montée aux alpages, les foins à faire à la main, c’est toujours la Nature qui dicte sa loi.

Interrogeant la masculinité de ce corps démesuré qui devient de moins en moins utile à mesure que Marco perd pied, Drii Winter dresse un parallèle direct entre le personnage et ce puissant taureau que l’on amène saillir les vaches. Ou avec ces dernières, emmenées à l’abattoir une fois qu’elle ne peuvent plus faire de veaux et donc produire du lait. Alors que sa force vitale l’abandonne progressivement, Marco se sent de plus en plus proche de ce bétail, craignant, une fois son corps devenu inutile, d'être mis à son tour au rebut, d'être rejeté par la communauté où il a trouvé refuge.

Faisant appel à un chœur polyphonique traditionnel, qui commente le récit, Drii Winter est une magnifique tragédie alpine, une histoire d’amour improbable, au-delà de toutes les convenances. Un film très fort, notamment grâce à son authenticité, le jeune cinéaste utilisant le dialecte local et faisant appel à des acteurs non professionnels — dont, dans les rôles d’Anna et de Marco, une jeune architecte et un paysan des alpages —, qui font vibrer ce récit magnifiquement mis en scène.

Épatant par son sens du cadre, par l’usage passionnant qu’il fait de la musique et du sound design, toujours surprenant dans sa façon de décrire la vie paysanne, Michael Koch signe un grand film, dont la longueur (2h16) est totalement justifiée, offrant au spectateur la possibilité de voir évoluer le destin des personnages au rythme d'une nature sublime, mais toute-puissante.

"Drie Winter" est porté par deux comédiens non professionnels épatants: Simon Wisler et Michèle Brand. ©Mooov

Drii Winter Drame Scénario et réalisation Michael Koch Photographie Armin Dierolf Musique Tobias Koch et Jannik Giger Montage Florian Riegel Avec Michèle Brand, Simon Wisler, Josef Aschwanden… Durée 2h16

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